Laval, 1892 – Laval, 1972
Henri Trouillard, d’un tempérament tourmenté, a vécu de nombreuses aventures et épreuves. Son enfance en Mayenne est difficile : il est placé comme garçon vacher à 11 ans puis entre en apprentissage pour apprendre la profession de menuisier. Orphelin à 15 ans, il vit de petits métiers puis part pour un tour de France au cours duquel il est souvent en proie à la misère et à la faim. Pendant la 1ère guerre mondiale, il est fait prisonnier en 1916, s’évade puis s’engage dans les bataillons d’Afrique du Nord. De retour à Laval, il se marie, ouvre une entreprise de menuiserie et un atelier de peinture. Ses œuvres, controversées mais recherchées par les amateurs et collectionneurs, sont exposées dès 1957. Sa fin de vie est difficile, et Trouillard, très isolé, meurt dans la misère.
L’artiste est un passionné d’histoire, obsédé par la question de l’origine et du devenir de l’homme. Il lit énormément, suit les recherches archéologiques en Mayenne et se documente dans les revues scientifiques. Son intérêt pour l’histoire naturelle, sa passion pour la Préhistoire et ses réflexions sur l’évolution de l’humanité nourrissent toute son œuvre.
Henri Trouillard, comme ses confrères autodidactes, ignore au début de sa carrière tout des techniques de dessin. Sa formation d’ébéniste, sa carrière de brocanteur et ses rencontres, notamment avec Robert Tatin, lui offrent cependant une forme d’apprentissage et de précieux conseils techniques. Ainsi l’artiste, soucieux de réaliser des tableaux équilibrés dans leurs compositions, se met à réaliser des études préparatoires pour préparer ses toiles, comme c’est le cas pour cette étude de l’œuvre Autrefois n°2, exposée en salle « Obsessions » du Musée.
Autrefois n°1 et Autrefois n°2 évoquent l’évolution des espèces animales et végétales. Dans Autrefois n°1, sont mis en parallèle un paysage fluvial, d’où surgissent de grandes plantes exotiques, où s’affrontent des animaux disparus, et un paysage bucolique, paisible, qui n’est pas sans rappeler les campagnes mayennaises. L’œuvre Autrefois n°2 est quant à elle plus dense et luxuriante. Il s’agit d’une sorte de catalogue de la faune et de la flore : l’artiste y a représenté une multitude d’espèces animales, de plantes et de fleurs, avec un grand souci du détail ; aucune espèce n’est représentée deux fois, Trouillard cherchant ici à faire découvrir l’extraordinaire inventivité de la nature.
Au-delà de cette visée scientifique, documentaire, du travail de l’artiste, se développent des figures d’inspiration allégorique, parfois complexes et mystérieuses : l’Ouroboros, ce serpent qui se mord la queue, symbole d’éternité, revient toujours, comme un leitmotiv.
Vingt-deux années séparent les deux toiles exposées au Musée de Laval, Autrefois n°1 et Autrefois n°2 : ces œuvres illustrent donc d’une façon particulièrement forte la méditation de toute une vie qu’a menée l’artiste. Avec une minutie et un grand sens du détail, il livre des œuvres poétiques, qui ne sont autres que le support de ses considérations philosophiques : dans ces temps troublés par les guerres et la question atomique, l’artiste tourmenté veut rappeler à l’humain quelle est sa source, et par là même, sa nature.
Dans Étude préparatoire de Autrefois n°2, l’observateur retrouve une certaine logique d’accumulation, avec un paysage où se mêlent nature, hommes, animaux mais aussi créatures fantastiques. L’étude préparatoire est un bon moyen pour l’artiste d’organiser tous ces éléments au sein d’un même espace, qui est celui de la toile. L’un des éléments phares du tableau est l’Ouroboros, symbole d’éternité représenté par un serpent qui se mord la queue : on le retrouve ici simplement suggéré par un cercle vierge au centre de l’œuvre. Ce cercle semble par ailleurs ne pas appartenir au même espace-temps que les éléments peints sur le reste de la toile. De plus, le paysage à l’intérieur paraît plus en profondeur, en comparaison avec la ligne d’horizon en bas à droite du tableau qui s’arrête aux buissons. D’autre part, la forme de l’Ouroboros attire le regard : on peut dire que l’artiste, de cette manière, crée une mise en abîme du cadre.