Henri Rousseau, dit le Douanier

Laval, 1844 – Paris, 1910

Le parcours d’Henri Rousseau est assez atypique : incompris de son vivant, il est aujourd’hui reconnu comme l’un des plus grands novateurs dans l’histoire de la peinture. Bien que se donnant pour modèles les grands maîtres de l’académisme, il est à l’origine de cette appellation de « Naïf » qui apparaît à la fin du XIXème siècle, désignant la pratique d’artistes figuratifs autodidactes s’affranchissant volontairement ou non des codes en vigueur dans la peinture classique.

Henri Rousseau est particulièrement connu pour ses jungles et ses paysages exotiques. N’ayant jamais voyagé, il trouve son inspiration dans les serres du Jardin des Plantes de Paris, dans les galeries du Muséum d’Histoire Naturelle, et dans les illustrations et les photographies publiées dans les périodiques de l’époque.

L’image popularisée du Douanier Rousseau est donc liée aux jungles. Cependant, sa thématique est beaucoup plus ouverte : il aime peindre des portraits, des natures mortes, et des vues urbaines, paysages longuement étudiés lors de ses factions, en tant qu’employé de l’Octroi, aux portes de Paris et sur les bords de la Seine ; poste qui lui doit d’ailleurs son surnom de Douanier.

À partir de 1884, il participe à plusieurs salons, et expose son premier paysage exotique au salon des Artistes Indépendants de 1891. C’est auprès de l’écrivain lavallois Alfred Jarry que Henri Rousseau fait connaissance avec les personnalités du monde de l’art et de la littérature de l’époque, tels que Guillaume Apollinaire, Robert et Sofia Delaunay, ou encore Pablo Picasso.

La notoriété arrive tardivement pour l’artiste, en 1910, année malheureuse où la gangrène l’emporte suite à une opération de la jambe. Sa tombe, sur laquelle ont été gravé des vers de son ami Guillaume Apollinaire, se trouve au jardin de la Perrine à Laval.

Le tableau Le Pont de Grenelle (1892) est une vue urbaine de Paris, genre un peu moins connu de la création artistique de l’artiste : lorsqu’il commence la peinture, Henri Rousseau s’intéresse en effet beaucoup à la représentation des paysages de bords de Seine. La plupart de ces paysages sont des interprétations ne se voulant pas tout à fait fidèles à la réalité : l’artiste réalisait d’abord une première esquisse sur le terrain, comme le montre l’étude préparatoire Vue de l’île Saint-Louis prise du pont Henri IV (vers 1909), puis terminait la peinture en atelier. Ce tableau démontre que les artistes naïfs eux aussi préparaient leurs tableaux : Rousseau pose ici de façon sommaire les différents éléments urbains sans entrer dans les détails, testant la composition et testant également la gamme de couleurs afin de voir comment celles-ci se répondent entre elles.

Le pont de Grenelle est un format horizontal qui se prête particulièrement bien au sujet du pont ; mais ce choix est aussi dû au fait que l’œuvre était à l’origine destinée à orner le mur au-dessus d’une porte. Le tableau atteste bien du talent du peintre, et notamment de sa maîtrise des couleurs avec ce savant camaïeu de gris, d’ocre et de brun qui nous transporte, grâce à la douceur des modelés et des aplats, dans une ambiance hivernale. On observe également un jeu entre les lignes obliques, verticales et horizontales, créant une composition étonnamment équilibrée, inspirée par l’hiver rigoureux de 1891-92. 

Paysage : cette huile sur toile provient de la collection René Clément (1913-1996), le célèbre cinéaste qui a réalisé, entre autres, les films Jeux interdits (1952), Paris brûle-t-il ? (1966). À partir des années 1950, René Clément a progressivement construit une collection éclectique refusant de s’enfermer dans un style particulier. L’œuvre est rarement sortie du domicile du cinéaste. Elle a été présentée à deux expositions majeures : « Les peintres naïfs du Douanier Rousseau à nos jours » en 1958 en Belgique, et l’exposition du Centenaire de Rousseau en 1961 à la galerie Charpentier à Paris.

Henri Rousseau a toujours été sensible aux bords de Seine dans les environs de Paris et, tous les ans, il expose au Salon des Indépendants deux ou trois paysages figurant la capitale et ses environs, lieux qu’il fréquente en tant qu’employé de l’octroi ou lors de ses promenades dominicales. Ces vues ne sont pas véritablement fidèles à la géographie des sites mais sont des interprétations poétiques peintes dans son atelier à partir d’études d’après nature. Ici, Rousseau nous offre un monde parfait où l’homme et la nature domestiquée sont en harmonie. La structure du tableau est caractéristique du style de l’artiste : les branches des arbres du premier plan se réunissent pour former une arche encadrant les bâtiments dominés par une cheminée fumante ; les silhouettes sombres des pêcheurs se détachent à contre-jour sur l’eau paisible ; la cheminée d’usine sur la droite trouve un écho dans les promeneurs posés sur le chemin ; la ligne des collines en arrière-plan adoucit la composition construite de façon presque géométrique.

Paysage
Vue de l’Ile St Louis prise du pont Henri IV